Fleurs et chocolat et
moi et moi !!!
Dr Mohammed
Mraizika
|
|
Dans la vie tout est question de
mesure, dit-on. Certains aiment le chocolat au point de lui dresser un
piédestal de cinq tonnes. D’autres préfèrent les fleures et les offrent sans
compter. Il y a même qui rêvent de droits constitutionnels (MRE). Jacques
Brel, pour qui les fleurs sont périssables, préfère les bonbons. Et moi et
moi !!!
|
Moi, l’enfant de
l’Atlas, gelé, enclavé, recroquevillé dans un coin humide de ma chambre, je
suis philosophe. Ce qui se passe en bas, à Mahaj Riad, à Rabat, ou dans des
bureaux feutrés où le chocolat coule à flot par la grâce "d’une mère noël"
généreuse et intentionnée, ne me concerne pas.
Moi,
je vous l’avoue, je n’ai jamais eu une crise de foie à cause d’un trop plein de
chocolat. Les affaires de fleurs et de cadeaux qui sentent la gabegie et la
manigance ne me parlent pas.
Moi,
les fleurs que je préfère sentent le thym et le romarin, l’eucalyptus et le
pin. Ici, se sont des femmes dignes et courageuses qui cueillent nos fleurs et
traquent, des journées entières, les quelques broussailles et morceaux de bois
pour chauffer nos foyers humides le soir.
Moi,
l’enfant d’Anfgou, comme les braves d’Azilal et d’ailleurs qui n’ont pas choisi
de naître et de vivre dans ces bourgs et villages oubliés de tous sauf de la
« mort blanche », je souffre dans la dignité et le silence. Ma
scolarité est hachée, mon hiver glacial, mon été infernal et mon avenir incertain.
Les fleurs, le chocolat, les lois organiques, la "bonne" gouvernance,
la caisse de compensation, les Universités libres, la vision 2020, la villa de
800 m2, les agréments de transport et de pêche, le mémorandum de l’Istiqlal, ne
me concernent pas.
Moi,
l’enfant dépourvu de tout, menacé par la "mort blanche" qui rode
impitoyablement l’hiver dans ma région, j’ai ma fierté. Fier quand j’entends ma
mère, digne et déterminée, déclarer à la
face du monde que nous ne mangeons de la viande, bon an, mal an, qu’une fois
par mois. Fier lorsque mon père a daigné appeler le monde d’en bas à la
solidarité pour que mes frères et leurs copains aient des habits chauds et des
repas réguliers pour supporter les affres du froid.
Fleurs et chocolat et moi et moi !!!
Dr Mohammed
Mraizika
Les
affaires de fleurs et de chocolat, qui font jaser
à Mahaj Riad et Maroclear, sont tristes et écœurantes. Je vous le concède. Ce
n’est pas simplement une histoire d’éthique et de morale, de valeurs et de
juste mesure ; c’est pire et plus que cela. Et si ces affaires soulèvent
la lancinante question de la bonne gouvernance et du bon usage des deniers
publics, elles ne font bouillir ni ma marmite, ni chauffer mon foyer et mon
corps ou équiper ma classe.
Si
ces affaires révèlent le peu de considération qu’ont certains dirigeants de
l’intérêt général, les sommes faramineuses qu’elles ont englouti n’arriveront
jamais jusqu’à mon village, mon assiette et mon école.
Et
si elles ont le mérite de mettre face à face deux mondes qui s‘ignorent, celui
d’en haut, le mien, et celui d’en bas, elles ne seront jamais l’élément
déclencheur de politiques publiques qui viendraient briser mon isolément et se
pencher sur ma santé et ma scolarité.
Alors, cette colère et cette indignation de
circonstance qui agitent le petit monde d’en bas, qui ne dureront que le temps d’une
chansonnette, ne me touchent pas.
Moi,
l’enfant de l’Atlas, qui a entendu parler d’équité et de réconciliation, de
réparation et d’indemnisation, j’appelle de tous mes vœux une colère créatrice et
des décisions fortes et suprêmes pour pouvoir venir à bout de cette malédiction
qui frappe mon village et mon foyer et qui a pour nom l’isolément, la
marginalisation, l’oubli, la faim et la pauvreté.
Quant
à vos histoires de chocolat et de fleurs, elles sont indigestes pour moi.
Dr Mohammed Mraizika
(Chercheur en Sciences Sociales,
Diplômé en Philosophie morale et politique,
Consultant en Ingénierie culturelle)